L’or bleu, sera-t-il le nouvel enjeu de conflits ?

Publié dans : Actualité, Vie de l'association

Les tensions internationales sur l’accès à l’eau potable sont de plus en plus préoccupantes.

En 2025, 4 milliards de personnes seront soumises à un stress hydrique, contre 400 millions en 1995. Cette situation est exacerbée par la croissance démographique, le changement climatique et la mauvaise gestion des ressources en eau. Les conflits d’usage          de                 l’eau           émergent    dans    de    nombreux    territoires,   et    des    tensions diplomatiques surviennent entre pays voisins qui se disputent cette ressource vitale. Ainsi, selon un rapport de Solidarité Internationale du 4 mars 2015 qui cite Frédéric Lasserre, géographe de l’université Laval au Canada et auteur de l’ouvrage « Les guerres de l’eau : l’eau au cœur des conflits du XXIème siècle » : sans être la principale cause de discordes, le partage des ressources en eau participe à envenimer des conflits. Les territoires voisins se disputent cet or bleu qui se raréfie avec la croissance démographique et le changement climatique. »

Les 4 facteurs principaux à prendre en compte dans la diminution des ressources naturelles en eau sont :

  • le réchauffement climatique qui affecte les nappes phréatiques : réduites soit directement par la baisse des pluies, soit indirectement par la hausse de la demande – notamment pour l’irrigation
  • la gestion inefficace et non durable de la distribution d’eau
  • l’augmentation démographique de la population
  • l’urbanisation

Les inégalités de consommation d’eau sont déjà frappantes. On estime qu’un citoyen américain consomme en moyenne 600 l d’eau/ jour, un européen 300, alors qu’en Afrique subsaharienne, la consommation moyenne est de moins de 30 l/ jour et de moins de 20 l pour un habitant d’Haïti.

A Kaboul, capitale de l’Afghanistan, une famille vit en moyenne avec 10 l/ jour ; la capitale ne dispose que d’un seul circuit de distribution d’eau ne pouvant approvisionner que 18% de la population. Ces différences de consommation viennent du fait que, dans les pays développés, les infrastructures sont plus performantes et que la majeure partie de l’eau dont dispose les ménages est utilisée pour faire fonctionner les douches et les W.C, arroser les jardins privatifs, remplir les piscines. On remarque en effet que la hausse de la consommation d’eau est directement liée à la hausse du niveau de vie.

En ce sens, en mai 2016, la Banque Mondiale, dans un rapport spécial sur le réchauffement climatique, avait averti que « près de 1,6 milliard de personnes vit dans des pays ayant une rareté physique en eau. Et d’ici à 20 ans, ce chiffre pourrait doubler ». Les estimations suggèrent qu’avant 30 ans le système global alimentaire nécessitera entre 40 % et 50 % d’eau supplémentaire. La demande d’eau par les villes et l’industrie va augmenter de 50 à 70 %, celle du secteur de l’énergie de 85 %.

L’accès à l’eau potable ; une arme politico-militaire

Selon un rapport de Pompiers Sans Frontières de 2020, les changements de modèles politiques relatifs aux ressources en eau illustrent bien que cet élément devienne peu à peu une source de conflit mais également un instrument de pouvoir. D’ailleurs, pour lutter contre l’instrumentalisation de l’eau en élément de stratégie géopolitique, on assiste à la volonté croissante de considérer l’eau comme un bien public mondial.

Certains bassins fluviaux, comme celui du Nil, alimentent toute une région en eau ; le pays qui prendrait le contrôle de tout le bassin, par le biais d’un barrage ou en détournant le fleuve, laisserait les régions en aval dépendantes de sa politique.

Plus récemment, l’accès à l’eau est devenu un enjeu majeur des négociations entre Israël et la Palestine. Quatre pays sont en tension dans le bassin surexploité du Jourdain – Israël, les Territoires Palestiniens occupés, la bande de Gaza et la Jordanie – pour le contrôle des réserves en eau du Jourdain. Le long du Jourdain, des stations de pompage et des conduites ont été construites pour irriguer les terres Israéliennes.

Pour mémoire, c’est ensuite par vengeance que la Ligue Arabe décide, en 1964, de construire l’aqueduc de détournement des eaux du haut Jourdain pour priver Israël des eaux du fleuve, ce qui à son tour a déclenché en 1967 la riposte armée d’Israël qui a bombardé à plusieurs reprises le chantier, portant un coup d’arrêt au projet.

Autre cas critique, celui de la Jordanie qui pour alimenter sa capitale Amman, déjà la plus grande ville de réfugiés au monde, est contrainte d’aller chercher l’eau fossile de la nappe de Disi située à 400 km.

Mais les conflits peuvent devenir très violents. C’est le cas notamment dans la région du Darfour dans l’ouest du Soudan. De 2003 à 2006, des villageois sédentaires chrétiens ont été massacrés, leurs villages pillés puis brûlés par des milices musulmanes souhaitant s’emparer des terres agricoles et de leur accès à l’eau

Les rescapés sont alors poussés à chercher refuge dans les camps situés à la frontière entre le Soudan et le Tchad. Depuis 2005, l’accès à l’eau dans le nord du Darfour devient de plus en plus difficile, poussant souvent les enfants à abandonner l’école pour aller en chercher.

Outre les conséquences en termes d’échec scolaire, cette situation présente un grave danger pour ces enfants, exposés au risque d’être tués par les milices et engendre également la disparition de nombreux animaux dont la décomposition empoisonne souvent les quelques puits subsistants.

Ces situations se multiplient également en dehors du Darfour. De violents conflits éclatent depuis 2003 dans la région du Mont Elgon au Kenya, ayant pour origine des disputes concernant l’eau et les terres, provoquant le déplacement de milliers de personnes. Au nord du comté de Baringo, un lac artificiel avait été créé en 2012 sur 15m de profondeur qui devait permettre un apport en eau pour 2.000 personnes et 100.000 têtes de bétail sur 30 ans.

Il n’en restait en 2017 plus qu’une flaque. Soumis à des températures extrêmes et au manque de pluies, le lac s’est asséché en l’espace de quelques semaines.

Comme au Darfour, de nombreux animaux sont morts, entrainant ainsi des carences alimentaires pour les habitants. L’eau, malgré sa contamination par la putréfaction des carcasses, était utilisée par les habitants des villages. Ce manque d’eau et de nourriture ont été des facteurs de fortes tensions entre les communautés.

En France, l’accès à l’eau potable pourrait également devenir un sujet de tensions en 2025.

Des fluctuations de tarification et des problèmes de potabilité ont déjà été observés. La période estivale est particulièrement critique, avec une augmentation des besoins en eau et une diminution de sa disponibilité. Des solutions comme la modernisation des réseaux d’eau potable, la réutilisation des eaux grises et la mise en place de solutions d’économie d’eau domestique sont envisagées pour faire face à ces défis.

Amandine Martinet, journaliste à Construction21 France, pose ainsi une question qui paraissait sans doute encore impensable il y a quelques années :

Y aura-t-il assez d’eau pour tout le monde ?

La raréfaction de cette ressource est pourtant une réalité y compris en France. C’est notamment le cas dans plusieurs communes de La Réunion : pour exemple, le lundi 6 janvier 2024, où la ville de Salazie a connu des coupures nocturnes afin de permettre la distribution en eau durant la journée. Sur le territoire métropolitain, les restrictions liées à l’usage de l’eau (arrosage, usage domestique…) deviennent habituelles en période estivale, laissant entrevoir aux populations des risques de pénurie.

En outre, plusieurs municipalités ont également vécu des épisodes de coupures d’eau et de fuites en 2024. En cause, des pannes d’électricité, un réseau de distribution dégradé ou mal entretenu (mouvements de terrains, grands froids…).

Candidat à l’élection présidentielle de 1974, René DUMONT, écologiste, avait déjà eu ce discours prémonitoire : “Nous allons bientôt manquer d’eau et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisque avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera…”. Il termine son allocution en buvant son verre d’eau.